Et si...

Nous étions début septembre et elle avait décidé de partir seule quelque part au bord de l’océan. Sa vie avait pris une nouvelle voie. Pas un tournant, le chemin qui s’offrait à elle était simplement nouveau. Des changements professionnels et sentimentaux lui avaient ouvert des perspectives non planifiées, qu’elle commençait à caresser avec un peu d’étonnement. La sérénité prédominait néanmoins et c’était le cœur léger qu’elle avait pris l’avion pour Bordeaux, en ce jour de fin d’été dont les couleurs lui réchauffaient l’âme.

Le taxi la déposa au milieu des pins majestueux et bienveillants. Une petite maison sur la plage l’accueillit, comme si elle n’attendait qu’elle. La lumière du soir traversait les carreaux sans pudeur, juste filtrée par la végétation, accompagnée d’une brise légère qui s’était imprégnée de ses senteurs. Elle s’arrêta à la porte d’entrée, ses yeux s’habituant aux vibrations du lieu. Elle se déchaussa d’un élégant mouvement et ses sandalettes en cuir rouge restèrent sur le seuil, comme pour marquer un respect convenu. Pieds nus sur les tomettes tièdes, elle se laissa transpercer par les forces telluriques et l’énergie du lieu. Un bien-être la pénétra avec langueur et un miel doux traversa son corps en saccades de plaisir.

Le bruit de l’océan accompagna sa première nuit d’une caresse sans fin. Elle fit des rêves où elle était plongée dans un liquide chaud qui l’aspira au sein d’une spirale, des mains glissant sur son corps en frôlements continus, tentant de l’agripper pour l’arrêter dans cette houle où elle s’abandonnait. En se réveillant tard le matin, elle retrouva la sérénité de la maison et décida sortir pour voir à quoi ressemblait la vraie vie aux alentours.

Ses journées sans plannings étaient toutefois rythmées par des passages réguliers au Bar de la Plage dont le nom sans surprise cachait cependant celle de ses mojitos généreux. Les huîtres et fruits de mer n’avaient fait que quelques mètres jusque dans son assiette et moins encore pour le vin depuis son seau fraicheur. L’amer du café, élevé au titre de gourmand grâce au sucré des mignardises l’accompagnant, stimulait les zones du plaisir de son cerveau et se diffusaient sans retenue jusqu’aux moindres capteurs de son corps.

Face à la force des rouleaux imprévisibles dont le seul adversaire était la pente de la plage, elle philosophait sur sa vie et imaginait celle des quelques vacanciers qu’elle croisait lors de ses longues promenades. Elle aimait affronter les vagues joueuses et ne gagnait pas souvent ; le risque se limitait à mouiller sa robe légère qui séchait très vite au vent et à sentir parfois le goût du sel sur ses lèvres, préparant l’envie du prochain mojito.

Ce jour-là elle croisa un homme qu’elle avait déjà souvent vu dans ses promenades. Il avait un regard nostalgique et semblait timide. Lorsque quelques mètres les avaient séparés, elle s’était tournée vers lui avec un sourire et un bonjour sans engagement. Il était resté poli, sans chaleur excessive, lisse et semblant distiller une infinie tristesse. Elle le trouvait étrange et attirant, sa curiosité aiguisée par son imagination.

Elle le salua, une fois de plus, en montant cette fois d’un ton sur la deuxième syllabe de son bonjour, sur un mode subtilement interrogatif. Il répondit par un sourire bien plus chaleureux que d’habitude et ils se croisèrent en ralentissant imperceptiblement. Dans cette après-midi chaude, ses sens alanguis par la fatigue bienfaisante de sa marche dans le sable humide et son envie de ne plus avoir de regrets la stoppèrent. Elle tourna la tête vers lui. Au même instant il fit de même, hésita à s’arrêter, finit par le faire, puis regarda l’océan en tendant le bras d’un geste arrondi. Elle regarda vers l’horizon où le ciel commençait à faire l’amour à la terre et lui dit d’une voix troublée : « Acceptez-vous que je vous offre un mojito ? »

Texte et photo : © emmanuel cockpit