Je suis assis à une table sur une terrasse, le DJ est juste en face de moi et c’est plutôt « deux de tension » que David Guetta. Je fais le tour des lieux.
A ma droite, une jeune femme seule avec sa fille, allemandes, donc blondes toutes deux. Mais jolies, attention. Elles boivent d’ailleurs de l’eau, pas de la bière. Elles occupent régulièrement la piste de dance, mais c’est normal, la musique est pour l’instant plutôt style chanteuse tyrolienne bavaroise. Un jeune homme blond vient lutiner discrètement la jeune fille en lançant des sourires charmeurs à la mère du genre « non, non, je ne suis pas un psychopathe ». Mais les effets de lumières et la saccade des stroboscopes ne militent pas en sa faveur. Bon, la raideur quasi militaire de sa façon de danser plaide quand même pour lui. Mais la mère s’en fiche complètement, elle sautille sur la piste comme si elle testait les ressorts du dernier modèle pour une marque de matelas.
A ma gauche, une table avec deux couples de russes qui semblent être nourris exclusivement à la pomme de terre et abreuvés avec sa déclinaison distillée. Les messieurs font 1,90 m et doivent avoisiner les 100 Kg. Les dames font 30 cm de moins et le même poids. Je comprends à présent pourquoi le fauteuil en osier que j’occupe pourrait en contenir deux comme moi. Sur leur table qui mesure près d’un mètre de diamètre, il n’y a plus de place pour poser des verres supplémentaires. Les boissons sont certes transparentes, mais si je pariais pour de l’eau, je serais sûr de perdre. Je me contracte à chaque fois qu’ils allument une cigarette, attendant l’impact potentiel du souffle de l’explosion.
Je fais un faux mouvement et ma bouteille d’eau se renverse (si si, de l’eau) et gicle jusque sur le pantalon du monsieur le plus proche de moi. Ses yeux deviennent brusquement très expressifs et me transpercent. Puis son regard va se perdre au loin, et j’ai comme l’impression qu’il cherche une poubelle pour m’y propulser. Je lui sors mon sourire numéro douze bis, celui destiné à amadouer les éléphants et les tracteurs qui n’ont plus de freins. « It’s water, only water » (je ne parle pas le russe) dis-je, tentant de le convaincre de ma bonne foi et qu’il était inutile de se formaliser pour une broutille pareille. Il éclate soudain d’un grand rire sonore, me faisant perdre mes facultés auditives pendant une bonne minute. A coté, le cri de Tarzan ressemble au pépiement d’un oisillon qui réclame son vermisseau.
En face de moi, la piste. Outre les amateurs de la musique sur laquelle on arrive toujours à gigoter il y a des jeunes femmes qui se déhanchent comme si elles passaient un casting pour un film érotique. Rien n’a changé depuis la nuit des temps : elles séduisent toujours par la danse et les hommes restent du genre à vouloir toucher le dernier os du bas de leur colonne vertébrale, c’est resté imprimé dans notre cerveau reptilien. Leurs bouches sont prêtes à échanger un rire forcé contre un soupir osé, dans un début d’abandon voluptueux qui leur fait fermer les yeux et relever leurs visages. Et leurs mains glissent sensuellement le long de leurs courbes et ouvrent des océans de promesses qui font naître dans l’imagination des mâles présents des envies pour lesquelles aucune perspicacité n’est nécessaire pour les deviner.
Une italienne au regard de braise… non c’est un cliché. Une italienne qui allumerait une cigarette rien qu’en la regardant se trémousse langoureusement devant moi. Mais la première chose que je regarde chez une femme, c’est son mec. Et là je m’abstiens, en tournant ostensiblement la tête ailleurs. Madame cockpit qui a vu sourit d’un regard entendu. En effet j’avais déjà remarqué sur la plage que le monsieur avait une expression non verbale parfaitement explicite, relayée par des muscles là où il faut, rien que de l’utile. Du genre aviron le lundi, boxe le mardi, body building le mercredi, natation le jeudi, et le week-end, service d’ordre d’un parti politique qui se prépare à la guerre plutôt qu’au dialogue.
La musique continue avec des groupes qui étaient déjà séparés à ma naissance, et je n’ai pas vraiment envie de mimer une danse tribale sur la piste. Un monsieur qui testait également le dernier modèle d’une marque de matelas arrive devant notre table. Il me sollicite, la main sur le cœur, le droit d’inviter madame cockpit à danser. Je lui laisse le soin de choisir, n’aimant le Moyen Age que pour Robin des Bois. Elle reste hésitante devant ce transfert de décision qui m’arrange bien. Le monsieur s’approche alors d’elle, se présente comme russe et lui fait un baisemain super classe. Qui n’aimerait pas ? Des rires derrière moi me font découvrir les deux suédoises qui réclamaient avec insistance au DJ de la musique du groupe Abba. Elles ne sont pas blondes et lèvent des pouces dans ma direction, ponctués de hochements de tête.
Les discothèques, ça devient excitant quand on croit que ça ne l’est plus. Allez, la soirée n’est pas finie et les français font souvent la fermeture du bar…
Crédit textes : © cockpit
Crédit photos : CraigRigby