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Tranches de vie

C’est une longue rue en pente, dans le 18ème arrondissement de Paris. Le soleil l’éclaire sur tout son long. Plutôt étroite, peu de voitures y passent et les piétons y sont nombreux. Les immeubles aux façades claires sont en bon état, sans être cossus. Des balcons en fer forgé agrémentés de plantes vertes apportent sérénité et quiétude. Les commerces variés et pimpants animent la voie et les étals de fruits et légumes colorent les trottoirs. Il y a une école maternelle dont la cour pépie. L’harmonie semble y régner, rythmée par les mouvements incessants de personnes qui, à bien les observer, deviennent vite des personnages.

Une sortie de métro absorbe régulièrement les passants et déverse une foule en jets sporadiques. Touristes harnachés, le nez en l’air, joggeurs colorés slalomant au travers, travailleurs pressés avançant d’une volonté de fer, la déclinaison est infinie entre les vêtements, la manière de se mouvoir et les sentiments qui s’expriment sur les visages.

L’air sérieux, le visage fermé, le téléphone activé, lui, il sait ce qu’il veut. Son brushing impeccable, sa sacoche griffée et son costume bien coupé sur sa quarantaine triomphante ne laissent aucun doute. Le mouvement saccadé de son bras appuie ses dires et quelquefois son doigt pointe pour mieux asséner ses certitudes. Comme il marche en même temps, ceux qu’il croise s’esquivent prudemment.

Cette adolescente semble affolée à la lecture de ses sms, messages et commentaires sur Facebook, Twitter, Google+ ou WhatsApp qu’elle fait défiler frénétiquement de ses doigts aux ongles bleus sur son smartphone plus grand que ses mains. Un sourire finit par naître au coin de ses lèvres et son regard se perd alors dans le vide de la foule. Elle est dans son monde et il semble maintenant agréable. La voilà qui dépose un baiser bruyant sur son écran avant de repartir vaillamment dans la pente de la rue.

A 35 ans je m’assume, semble émettre cette jeune femme qui sort du métro, surtout quand elle allume une cigarette dès la fin de l’escalator, une toute fine, celle avec laquelle elle fume du vent, mais qui assure, et sans chanceler. Enfin si elle s’est bien entrainée avec les chaussures qu’elle porte. Des talons de dix centimètres de haut et un demi de diamètre, ce qui lui permet de toiser ses congénères.

Son caddie avec roues spéciales « montée d’escalier » est plein en sortant du maraîcher bio. Papy semble ne jurer que par le naturel, même si les produits ont fait des kilomètres, mais bio, ont stagné dans les embouteillages, mais bio, ont été emballés dans des sachets, mais bio, et qui donneront rapidement des déchets bio, puisque le bio, c’est bio et ça se garde moins longtemps.

On ne glisserait pas une feuille de papier à cigarettes entre ces deux ados collés l’un à l’autre et qui totalisent à eux deux au moins 50 bracelets aux poignets. Ils partagent deux oreillettes branchées sur une petite tablette, ou un grand smartphone. Le contenu ? Rien ne se reflète sur leur visage. Ils marchent comme si rien n’existait autour d’eux, traversent la route et font piler un automobiliste qu’ils apostrophent d’un majeur levé simultanément, même deux pour celui qui ne tient pas l’appareil.

Des cheveux savamment rassemblés dans un chignon déstructuré, pas trop pour ne pas faire choucroute, assez pour que quelques mèches s’en échappent et vaporisent une onde cotonneuse sur sa nuque, elle devise sur l’intérêt de son job avec son ami dont elle tient la main en marchant. Sa peau mate, ses lèvres pleines et son maquillage réussi - celui qui ne se voit pas - lui donnent une assurance tranquille qui transparait dans les lueurs tropicales de ses yeux verts. Elle éternue d’un joli claquement cristallin, avec un écho qui fait vibrer l’air.

Ce couple d’un âge très avancé dénote : ils sont habillés comme pour un mariage des années 1950. Ils ont toutefois de l’allure et ne s’en laissent pas compter par la foule qui glisse autour d’eux d’un pas plus chaloupé. Elle a le sac bien collé à elle, un rien suspicieuse, dévisageant ceux qu’elle croise et prenant garde où elle pose ses pieds. Lui semble un peu perdu, au-dessus de son environnement, avec comme une farouche envie d’exister.

La quarantaine, chauve, des lunettes sérieuses mais des yeux malicieux, sa main sur l’épaule d’un homme glisse vers sa joue pour une tendre caresse. L’autre lui rend un sourire amoureux et serre ses doigts avant de s’en aller. Ils sont habillés comme les Men in Black, les lunettes de soleil en moins.

Les gens sont si proches physiquement et si loin socialement.

 

Crédits textes et photos : © Emmanuel Cockpit

Tag(s) : #Portraits
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